Frédéric Stucin
Le décor #24
Le 17 mars 2020. La France est confinée. J'habite à Paris, «ma» ville depuis 20 ans. Depuis 20 ans, j'y fais de la photo de rue. Je l'arpente de long en large, à pied, en vélo, en scooter. Je croyais la connaître. J'ai l'impression de la découvrir. Plus étrange encore, de la reconnaître vaguement, comme un lointain souvenir.
Je refais les mêmes cadres, je m'arrête au même endroit du même carrefour, je me demande pour la première fois si c'est réel. Paris est devenue un décor. Les devantures de commerces sont de faux contreplaqués qui ne s'ouvrent pas, les figurants qui se bousculaient en foule sur les trottoirs sont repartis. Avec de rares passants furtifs, souvent masqués, nous marchons dans le décor de nos vies arrêtées. Eux comme moi, j'en suis certain, voudraient si ardemment que le film redémarre. Mais rien. Au contraire, ce que nous voyons nous fait douter de ce qui a existé.
C'est ce trouble, cette impression de nuit en plein jour, que j'ai voulu montrer par ce travail photographique, mené tout au long du confinement. Pour beaucoup d'entre nous, ces deux mois ont changé le regard que nous portions sur nos vies. J'ai voulu représenter ce moment là, où notre regard a basculé, ce moment où ce que nous vivons nous fait douter de notre réalité.